L’origine des larmes

Jean-Paul Dubois

Éditions de l’Olivier

La comédie était en noir

Paul, ce personnage de l’auteur n’est jamais ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, et pour nous lecteurs c’est un rendez-vous plein de charme.

La pluie diluvienne, têtue et robuste est à l’image des larmes invisibles de Paul, celles qui coulent dans son être depuis sa naissance.

Paul nait, son jumeau est mort-né et leur mère meurt.

Le père indifférent part en villégiature.

« Dans son genre mon père est une galerie d’art conceptuel, à mi-chemin du MoMa et d’Alcatraz. »

Paul Sorensen est donc né de l’eau et de la mort et seul à jamais.

Rebecca l’a élevé comme une mère dès l’âge de trois mois, il apprendra dans un accès de colère de son père qu’elle n’est pas sa mère.

Jean-Paul Dubois brosse un portrait de mère et de femme magnifique.

Tuer le père par cet acte insensé de tirer sur un cadavre va conduire Paul à une condamnation judiciaire « d’obligation de soins » pendant un an.

C’est dons par session mensuelle que le lecteur découvre la vie de Paul lors de ses entretiens avec le docteur Guzman.

Paul est un homme seul, qui tous les soirs converse avec l’IA.

Pourtant l’histoire nous montre qu’il est attentif aux autres particulièrement dans ses relations professionnelles et par ses liens avec Rebecca sa mère adoptive ; mais il n’a pas pu franchir le cap de se construire une vie.

Il converse aussi avec le chien, mort ou vif, un joli portrait qui se dessine mais met en valeur l’intelligence animale.

La pluie en cette année 2032, est omniprésente, métaphore du rideau qui cache mais aussi des certitudes qui se diluent autant que les apparences volent en éclat, secouées par les bourrasques de la mémoire.

Guzman est un psy qui se heurte à un cas inédit, une énigme, il procède de façon classique en essayant de découper la vie de son patient en dossiers parfaitement étiquetés, mais ce puzzle restera inachevé.

« Je trouve ces journées parfois totalement ridicules. Que de temps perdu à récurer le passé et la vie collée, carbonisée depuis des années au cul d’une poêle. Et pendant ce temps ma vie avance, file, et j’en suis réduit à marcher sous la pluie pour récupérer un peu d’autonomie, un brin de dignité. Je n’ai pas le loisir de tout envoyer promener. Le risque est trop grand et le bénéfice trop mince ; Au point où j’en suis, je ne dois toucher à rien, filer droit jusqu’au bout. Je ne peux pas me permettre de m’aliéner Guzman. »

Le portrait de Guzman est souvent hilarant et son : « ici on peut tout dire mais on ne peut pas tout faire » résonne comme un acte d’autorité d’un père qui ne veut pas perdre la face.

Ce qui nous est révélé par ces séances nous entraîne dans un histoire qui nous donne un vertige aussi tenace que nauséeux.

Paul nomme son géniteur par son patronyme :Lanski.

Lui qui dit qu’un homme se construit par le regard de l’enfant et son observation des gestes des parents ce qu’il nomme « l’amour par capillarité » comment aurait-il pu se construire ?

« La solitude me pousse à reconsidérer mon comportement en permanence. C’est inévitable. Tenir simplement debout, droit, se sentir stable. En ce moment, c’est mon ambition première. Je crois n’avoir jamais durablement ressenti cette sensation. Toute mon histoire repose sur un déséquilibre permanent. »

La tension est extrême jusqu’au final, avec l’acuité de ce regard particulier qui est la marque de Jean-Paul Dubois et cette ironie mordante pour dire un monde en déliquescence qui n’a pas attendu les changements climatiques ni l’IA ni les virus pour faire voler en éclats ses valeurs.

Cette autopsie de l’âme de l’enfant Paul, dont la naissance a été célébrée par un cortège funèbre, ne serait-elle pas l’autopsie de notre monde actuel ?

Lanski, le géniteur toxique, dégénéré et pervers ne serait-il pas le Monde moderne avec son cynisme en étendard ?

Et si Paul était la parabole d’un enseignement ? Celle de l’action.

Un livre maîtrisé de bout en bout où le burlesque donne la main au tragique.

Jean-Paul Dubois est un écrivain que j’aime lire, j’attends ses parutions avec impatience.

L’origine des larmes m’a époustouflée, la construction sans faille, le style et le ton qui lui sied à merveille.

J’ai adoré cette lecture et en la terminant, j’ai eu cette sensation si bien décrite par Verlaine : « Il pleure dans mon cœur. Comme il pleut sur la ville. »

©Chantal Lafon

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