Cette corde qui m’attache à la terre

Lorina Bălteanu

Éditions des Syrtes

Partir dans le vaste monde

Il y a des lectures sublimes et ce livre en fait partie.

La Moldavie des années 60-70, une voix enfantine et cette antienne poétique qui va souffler tout au long de ce récit :

« « Comme moi, la lune ne dort pas, elle se balade dans le ciel la nuit et se fait des colliers d’étoiles… Comme moi la lune voudrait s’en aller. Comme moi, elle est attachée à la terre par une corde. »

C’est ce ton qui va dominer et conduire le lecteur dans le quotidien de cette famille dont la narratrice est la sixième enfant, née en hiver ce qui est déjà une anomalie.

Elle observe tout, ressent tout de façon démultipliée, on pourrait la croire muette mais non, elle engrange tous les détails qui font la vie de cette terre et de ces adultes bien étranges à hauteur d’enfant.

« Et maintenant je sais que ce sera pareil l’année prochaine. Et la suivante. Et la suivante des suivantes. Et moi, je serai toujours là. Rien ne se passera autrement. Si j’avais des ailes pour voler, je monterais bien haut, au-dessus de la cour. Et je m’en irais avec la fumée qui sort de la cheminée… »

En filigrane la pesanteur de l’Histoire.

Cette petite fille a bien compris que la vie n’était pas une ligne droite toute tracée sous ses pas.

Alors les saynètes vont s’illustrer sous nos yeux, cocasses souvent, émouvantes toujours.

L’image de la poule cuisinée où chaque morceau a son destinataire en fonction des besoins de chacun.

La tante Muza, la baroudeuse qui la fait rêver, cette tante connaît Paris comme sa poche. Elle arrive avec plusieurs valises dont le contenu forme un sillage derrière elle comme un parfum de liberté.

Le grand-père, il fut le jeune homme que deux sœurs se disputaient , mais dans chaque famille il y a des règles, l’ainée doit se marier en premier même si le chef de famille doit user de ruse pour y arriver.

Alors, la petite qui connait cette histoire surveille sa tante et son grand-père quand ils se croient seul, une scène aussi hilarante que tendre.

Grâce à Raïa la bibliothécaire, elle peut lire autant qu’elle le veut, elle a sa façon de donner ses lettres de noblesse à la littérature.

Souvent cette enfant enrage contre ce monde qui a des codes bien compliqués.

« Ma colère est différente. Elle me recouvre comme un nuage noir et m’écrase de son poids comme une poire blette sous la plante du pied. Parfois ça me coupe le souffle et, privé d’air, je commence à mourir. »

Au fil de ma lecture, j’ai étiré le temps car je ne voulais pas quitter ce livre, j’ai eu cette impression d’un chat sauvage que je voulais apprivoiser.

La question reste doit-on apprivoiser un animal sauvage ?

« Moi, je n’éveille en personne un sentiment de tendresse. Telle que je suis, je ne peux être l’objet de leur amour de tantes. Je ne me fâche même pas. Moi, je me rends justice toute seule. »

Cette enfant nous voudrions la prendre dans nos bras, lui donner accès à ses rêves, faire le tour du monde avec elle, oui mais…

Cette enfant est une leçon de vie, elle pousse comme les herbes sauvage, elle sait découvrir la sève là où elle est. Elle avance, traverse l’enfance et l’adolescence dans ce pays, cette famille, cette communauté avec cette corde qu’elle rêve de rompre.

La musicalité de ce récit nous enveloppe, Les quatre saisons de Vivaldi lui iraient à merveille comme un habit sur mesure.

C’est intelligent, drôle, subtile et aussi fragile et gracieux que les akènes du pissenlit.

Un livre inoubliable.  Cette petite fille saura-t-elle toute la tendresse que les lecteurs ont pour elle ?

©Chantal Lafon

Un avis sur « Cette corde qui m’attache à la terre »

  1. Je ne lis que des avis positifs sur ce livre, j’ai aussi été séduit par la tonalité de ce livre qui fait qu’on tourne les pages avec un grand plaisir. On s’attache en effet très vite à cette enfant (qui est, si je ne me trompe, l’écrivaine elle-même d’ailleurs)

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