Débâcle Lize Spit

Traduction Emmanuelle Tardif

Editions Actes Sud

De plein gré s’enfoncer dans le lisier.

Ce livre m’attend depuis sa sortie il y a quatre ans. Il a tellement fait parler que j’ai choisi un autre moment pour le lire.

Evidemment la couverture joue sur attraction-répulsion, une vision troublante.

Dans un petit village de Flandres, en 1988 trois enfants sont nés : Laurens, Pim et Eva. Ils vont vite être inséparables.

La narratrice Eva, qui est partie de ce village depuis neuf ans, reçoit une invitation pour le 30 décembre, lui rappelant que Jan aurait eu trente ans. Jan est le frère de Pim et il est mort en 2001.

Quelques mois plus tard en juillet 2002, le lecteur sent que c’est l’été de tous les dangers, ces trois adolescents se traînent dans ce village surchauffé par la canicule, livrés à eux-mêmes, et qu’ils vont inventer n’importe quoi pour faire passer le temps et pimenter leurs jeux.

Le roman alternera entre chapitres qui nous décrivent ce 30 décembre où Eva prend la route, heure par heure, et juillet 2002.

C’est un fil narratif en haute tension.

Un fait intriguant : Eva a mis dans son coffre un bloc de glace, pourquoi ?

Eva n’a pas fait un trait sur le passé et elle montre combien son estime d’elle-même n’est pas restaurée, et ce dès les premières pages, elle a une attitude qui en révèle beaucoup.

Le trio va devenir le trio infernal gouverné par une curiosité sexuelle qui vire à la cruauté de s’asservissement, une surenchère qui ne peut que mal finir.

J’ai eu l’impression que ce village était posé sur un marécage.

L’enfant Eva ne peut que fuir sa famille, son frère ainé part dans la campagne dès l’aube, sa sœur Lizzie est en proie à des troubles alimentaires profonds, elle s’efface de ce décor, elle a des troubles obsessionnels-compulsifs que seule Eva semble prendre en considération. Visiblement les parents sont noyés dans l’alcool et des obsessions totalement absurdes… Eva se sent exister seulement quand elle est avec Pim et Laurens. Mais jusqu’où cela peut-il aller ?

« A la maison, on avait cinq poules. De toute évidence, maman aussi était au courant du fait que les poules ne pondent qu’un œuf par jour, tôt le matin. Pourtant, plusieurs fois dans la journée, elle retournait voir s’il y avait de nouvelles pontes et revenait systématiquement avec un œuf de plus, un seul. Les douzaines qu’elle avait achetées en secret devaient être camouflées quelque part dans le poulailler, près de la caisse à vin. »

Cette impression de marécage dans lequel on s’enfonce me suit de chapitre en chapitre, c’est plus que noir, glauque jusqu’au malaise.

L’auteur dépeint une fresque sociale, de ces coins oubliés du monde, là c’est un village flamand mais cela rappelle aussi la France décrite par Edouard Louis dans En finir avec Eddy Bellegueule.

Un monde fantôme car ce sont des exclus du système, ceux qui seront toujours en lisière, une noirceur qui colle à la semelle quoi que l’on fasse où que l’on aille…

Il y a une désespérance que rien ne semble pouvoir effacer.

Désespérance qui a une musique instillée par la narration, Lize Spit distille les informations au compte-goutte, et notre lecture fait penser au bruit obsédant d’un robinet qui goutte. Enervant au plus haut point, une avancée implacable.

J’ai été envahie par le silence, la non-communication dans ces familles, le seul bruit serait celui des jeux des enfants, mais vu le choix de leurs activités, eux aussi ils ont intérêts à faire silence.

Quelques éclairs de tendresse ceux d’Eva pour sa petite sœur Lizzie malgré son impuissance et l’impression grandissante qu’Eva doit sauver sa peau.

Mais c’est un autre problème.

Eva nous raconte par le menu, jusqu’à la nausée, ce qu’est une vie sans base solide, sans affection, une vie qui doit pousser sur le néant.

Le lecteur assiste impuissant à cet enlisement qui sent le purin de l’humanité à n’en pas douter.

L’auteur est habile à nous faire ressentir cet enfer et notre impuissance nous qui en lisant regardons la lie sans intervenir.

C’est ce double effet qui renforce le malaise profond qui nous habite jusqu’au dernier mot.

©Chantal Lafon

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