La mer Noire dans les grands lacs Annie Lulu

Editions Julliard

L’incipit de ce roman vous lacère :

« J’aurais dû te noyer quand t’es née, j’aurais dû t’écraser avec une brique. »

C’est ce qu’entend Nili de la part de sa mère.

Nili est métisse, née d’une mère roumaine et d’un père congolais disparu après sa naissance.

Elle est en quête de ses origines, et ses mots horribles reviennent comme un boomerang, alors qu’elle s’apprête à donner la vie.

Pour le fils qu’elle attend, elle va tirer chaque fil de sa jeune vie pour comprendre ses origines.

Mais il faut recontextualiser, en Roumanie début 1989 quand Ceausescu faisait régner la terreur, officialiser un couple mixte c’était le parcours du combattant.

Les pressions étaient nombreuses et violentes pour que les femmes enceintes abandonnent leur enfant. Un couple mixte dans un pays qui a vécu le pogrom de Lasi pas simple à imposer.

Helena Abramovici a fait un enfant avec Exaucé Makasi Motembe, une Roumaine et un Congolais et cela donne la petite Nili.

Enfant Héléna protégeait sa fille du racisme avec les moyens du bord, cela donne à sourire à la lecture et pourtant ce n’est pas drôle.

Nili grandit, s’émancipe et est fière de ses origines congolaises. Elle cherche son père désespérément.

Sa mère lui a donné la seule arme valable à ses yeux : les études.

Etudier pour être libre.

« Alors elle m’a offert la chose la plus précieuse qu’elle avait, ce à quoi elle attachait le plus de valeur et qui pouvait ouvrir la seule porte possible pour une fille comme moi à cette époque, des bouquins. »

Nili fera ses études à Paris avec les difficultés que l’on imagine.

Elle finira par aller à Kinshasa découvrir le pays tant rêvé de son père.

C’est une véritable rencontre qu’elle nous narre avec émotion, émerveillement et réalisme. Elle embrasse ce pays et cette famille qui l’accueille à bras ouverts.

« J’étais à la maison, j’arpentais la cour entre le manguier et l’avocatier à chaque extrémité du terrain. La petite chevrette de ma grand-mère me suivait partout, La joie, ma fille, la joie ! J’avais le tournis du jus de vie que mes yeux ne cessaient de boire. La nuit allait venir avec a griserie de ne plus dormir maintenant que j’avais les yeux ouverts, je me suis dit : Je ne les fermerai plus. »

Une écriture à la fois crue et poétique avec un mouvement de ressac.

Ce retour brutal des souvenirs sur eux-mêmes lorsqu’ils se heurtent à la quête des origines.

Il y a également une grande musicalité de type polyphonique qui serait éparpillé comme un puzzle et qui au fil du récit trouve forme et sens.

La lecture y imprime naturellement mouvement du cops, battement des mains, le son des voix et du djembé mêlés.

En refermant le livre, je m’aperçois que je n’ai pas lu mais écouté cette voix magnifique qui dit le déracinement et en même remps la réappropriation de son être profond.

Un premier roman extraordinaire par la forme et le fond et cette écriture singulière qui se plie à cette quête, c’est à la fois totalement écrit et d’une oralité qui fait penser aux conteurs d’histoires et cette transmission par l’oralité.

©Chantal Lafon

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