L’art de la joie

Goliarda Sapienza

Traduit par Nathalie Castagné

Éditions du Tripode

L’aventure d’être soi

Sicile, Modesta est née le 1er janvier 1900. La pauvreté règne, la mère ne sourit jamais, trop occupée par la sœur de Modesta qui est trisomique et ne supporte pas d’être séparée d’elle.

Modesta grandit en toute liberté, sauvage et en butte à tous les dangers, mais elle a de la ressource.

Sa famille périt dans un incendie et elle se retrouve admise au couvent où mère Leonora va la prendre sous son aile, lui donner l’éducation et l’éveille à la culture, mais Modesta prend conscience de la duplicité qui règne autour d’elle.

En elle couve la rébellion, ses conversations avec Mimo, le jardinier, la renseigne sur un ailleurs qui s’ouvre à de nouvelles idées.

« Il est tout enflammé de ces nouvelles idées de rébellion.

Et contre qui se rebellent les pauvres ? Contre les riches, les puissants, l’Église. […] sur le continent, il y en a tant de ces médecins et maîtres d’école et avocats qui sont du côté du peuple. »

À dix-sept ans, après la mort de mère Leonora, elle ira vivre dans la riche famille de cette dernière. À l’abri des soucis financiers, elle fait l’apprentissage d’une vie libre, elle apprend avec avidité, sans relâche, elle forme son esprit et apprend tout de la gestion du domaine Brandiforti.

Elle va devenir princesse Brandiforti mais n’est-ce-pas un pacte avec le diable. ?

Cette célèbre famille recèle de sombres secrets.

De mœurs libres, Modesta aimera un homme Carmine, c’est l’occasion pour l’auteur de faire un beau portrait.

Après avoir étudier jusqu’à l’épuisement, avoir intégrer tous les us et coutumes dus à son rang, elle n’en reste pas moins une femme farouche et insoumise, une femme libre.

Partout où Modesta passe, le monde plie.

« Je n’aurai jamais de maîtres » est sa devise

Avide, attentive, elle exerce son intelligence à aller toujours ailleurs, vers d’autres horizons.

Le lecteur doit passer le cap des premières pages qui sont rudes, qui lacèrent et disent d’où part cette petite fille.

C’est un roman fascinant sur la trajectoire d’une enfant pauvre qui va devenir une femme libre, qui va évoluer de l’individualité à l’engagement.

En refermant ce livre unique le lecteur est troublé mais il a l’impression d’avoir avancé vers la lumière.

À mesure que son esprit s’affûte la femme se déploie, comme une fleur s’ouvre sous la conjonction de la rosée et des premiers rayons du soleil.

L’auteur a su, sur toute la longueur de ce pavé de 800 pages, faire évoluer son style qui épouse celui de l’épanouissement de son héroïne.

Le texte devient ample, beau,  les dialogues sont profonds et savoureux et le lecteur a la sensation d’être invité à partager la conversation des protagonistes.

Ce roman est sauvage, absolu et complexe et en même temps romantique, érotique et poétique.

Ce qui est fascinant, c’est de voir cette femme prendre sa place sans rejeter l’homme.

Elle avance vers la vieillesse et la mort comme elle a vécu dans la lumière.

«parce que la jeunesse et la vieillesse ne sont qu’une hypothèse, ton âge est celui que tu te choisis, que tu te convaincs d’avoir.»

Chacune peut y trouver un guide pour tracer sa propre trajectoire, qui passera par la case culture au sens large, mais aussi par l’observation d’un monde qu’il faut apprendre à combattre sans rejeter tout en bloc, savoir affiner sa pensée et sa conscience des autres.

« Il fallait, comme on étudie la grammaire, la musique, étudier les émotions que les autres provoquent en nous… La peur, comme les pensées noires, est une mauvaise herbe puissante et il faut tout de suite se l’arracher du corps. »

Le monde serait une embarcation où chacun a une place à occuper pour avancer à la fois sur le plan individuel et collectif.

©Chantal Lafon

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer