Les fous sont des joueurs de flûte

Emma Marsantes

Éditions Verdier

Son enfance a fait la loi

Après Une mère éphémère Emma Marsantes poursuit son récit de vie, une vie où il faut mettre des mots sur l’indicible pour vivre.

Dans ce deuxième volet qu’elle construit tel un opéra, elle aborde sa vie d’adulte, de femme et de mère.

La mort du père nous apprend qu’il a continué à vivre dans l’appartement où sa femme s’est pendue. Une mémoire trouble à entretenir ou indifférence ? Le mort gardera son secret. Toujours est-il que Mia a conservé des liens avec ce père, malgré tout et envers tout. Elle s’occupera de lui jusqu’à son dernier souffle.

Bien avant la mort de ce père, il a organisé le mariage de sa fille, il lui fallait un gendre qui lui convienne ; si ce n’était pas triste, le choix s’est fait comme dans une foire aux bestiaux ce qui est pour le moins hilarant dans ce milieu ultra bourgeois.

Une fois le candidat élu et mal élu, la vie s’est déroulée comme une triste routine à part la joie d’avoir des enfants.

Cette période de maternité et d’éducation des enfants est une vaste reproduction du conformisme de bon aloi de son milieu.

C’est une période où Mia s’oublie dans cette volonté de tout bien faire pour les autres.

Sauver les apparences.

« Ce qui va déchirer le livre, ce qui fera des années qui approchent une grosse boule de papier froissé, ce sera d’avoir perdu, avec la disparition de mon père, le goût du mensonge de nous. »

Un divorce plus tard, l’ancrage artificiel se dénoue.

Elle se croit enfin libre.

Elle va rencontrer l’homme toxique, plus âgé qu’elle, sûr de lui, dès la première rencontre il la domine, physiquement, moralement, il en impose.

« J’avais oublié le claquement du plaisir.

Violuptés.

Mes planchers cèdent. »

Elle est restée la petite Mia dressée à la soumission.

Emma Marsantes se fait dramaturge pour fendre l’armure. Elle a la maîtrise intellectuelle de son récit. Son écriture mouvante, son vocabulaire riche ne peut être que précis, son phrasé très particulier précise et détaille et fait que le lecteur ressent dans sa chair ce qui se joue à chaque étape de cette relation.

Une rencontre commencée sur l’air de da ba da ba da da da d’Un homme et une femme se termineplutôt façon Psychose.

Alors la question essentielle du libre arbitre se pose.

En effet quand on a subi l’emprise dès l’enfance peut-on être libre ?

Ce qui ressort de cette lecture c’est la précision avec laquelle l’auteur nous montre les mécanismes de l’effacement de soi, juste pour exister à travers l’autre.

Cela va loin, très loin, l’analyse se fait au scalpel sans déballage.

Un style unique plus affûté qu’une lame nous donne à ressentir les enjeux d’un quotidien toxique dans jamais mettre le lecteur en porte à faux façon voyeurisme.

Plus qu’un livre une expérience à vivre.

Merci à Masse critique Babelio et aux éditions Verdier pour ce privilège de lecture.

©Chantal Lafon

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